Une mesure populaire, vraiment ?

Par Arthur Lemoine - le 23/12/2023

Un sondage en ligne a été utilisé pour justifier la mise en place de l'uniforme scolaire à Talmont-Saint-Hilaire. Démonstration à été faite de failles sécurité et de fiabilité, notamment la possibilité de voter plusieurs fois et la participation de non-résidents. Les résultats, ont été utilisés pour justifier des initiatives gouvernementales, soulevant des questions sur la manipulation des données et la justification des dépenses publiques.
Image représentant un politicien en uniforme d'écolier anglais brandissant un drapeau tricolore Français devant un parterre de parents d'élèves visiblement dépités.

Le 20 Octobre 2023, les parents d'élèves reçurent par email (uniquement) un lien vers un sondage en ligne, via le site de la mairie de Talmont-Saint-Hilaire.

Celui-ci était ouvert du 20 Octobre au 15 Novembre 2023. Il était en principe impossible de voter plus d'une fois, mais en utilisant un navigateur privé, on peut contourner cette limitation très facilement. De plus, le formulaire était accessible sans connexion. On pouvait donc partager le lien à des personnes n'ayant pas d'enfant scolarisé dans la ville, ou sur les réseaux sociaux.

Il est osé de considérer que, déjà à ce stade le sondage n'est pas biaisé. Il en résulte donc qu'il ne peut même pas servir d'indicateur quant à l'opinion des parents d'élèves. N'importe qui a pu répondre et n’importe qui a répondu. En effet le sans-culotte 85 a publié une vidéo sur Facebook les mettant en scène en train de répondre au sondage, alors qu'aucune des personnes présenté n'a d'enfant scolarisé dans la commune.

Le sujet-même du sondage étant très polémique, il est évident que les personnes ayant un avis tranché sur la question seront plus enclines à répondre que d'autres... Voire à le partager à leurs proches pour influencer le résultat.

Un sondage biaisé...

Image représentant un politicien cherchant un trésor avec une carte représentant des graphique de sondage, sur une plage, en utilisant une boussole indiquant des directions aléatoires.

Afin de dénoncer les faiblesses évidentes et en apporter une preuve formelle : J'ai pris l'initiative de jouer avec les réponses. En effet, j'ai pu envoyer 500 faux bulletins de vote en quelques minutes, en utilisant un script disponible ici. La méthodologie a été transmise à Ouest France, au journal des sables et publiée peu après les résultats du sondage. Le Sans-culotte 85 en a également fait un article très précis, et je vais vous résumer brièvement ce qu'on peut en conclure plus bas.

Cependant, le 17 novembre 2023, ont été publiés les résultats officiels du sondage dans le Journal des Sables. On y apprend "qu'ils montrent une adhésion très marquée des parents pour l’accompagnement aux leçons (85,08%) et pour la levée des couleurs (71,5 %) mais plus partagée bien que majoritaire pour la tenue unique (56,35 %)".

On nous dit également que "Les commentaires laissés par les parents favorables évoquaient notamment l’aspect pratique de la tenue unique". Le formulaire du sondage ne proposant pas de champ libre pour laisser un commentaire, on se demande comment ces avis ont été recueillis. Est-ce qu'il l'ont réellement été ?

Car d'après les retours de la réunion d’information du 17 octobre, quand des voix ont commencé à questionner le bien-fondé de la mesure (et son côté peu pratique) la discussion a été abrégée par un “c’est vous qui choisissez” via le fameux sondage.

Dans ce même article, un encart nous apprend que les services municipaux n'ont pas pu ignorer les faiblesses évidentes de leur méthode, et tentent malgré tout de justifier l'exploitation des "résultats" :

Le biais est indiscutable et Maxence de Rugy le reconnaît tout à fait. Mais il en relativise les effets, indiquant avoir ouvert en cours de route la consultation à l’ensemble de la population. « Sincèrement, je ne pense pas que les résultats soient biaisés pour autant [...].

Rien que là, il est hallucinant d’affirmer obtenir une "« grosse participation », de l’ordre de 75 %" quand on peut lire, je cite : "[avoir] ouvert en cours de route la consultation à l’ensemble de la population".

Comme relève le sans-culotte 85 :

Si on prend le sujet de l’uniforme par exemple, cela signifie, d’après les chiffres de la mairie, que 646 parents ont voté, sur un total de 861. Ce qui exclut, d’après ce récit, le vote d’autres habitants, puisque cela aurait fait « gonfler » le total des votants. CQFD

Car en étendant à toute la population de la ville, on arriverait à 6006 votants (ceux inscrits sur les listes électorales en 2022), et là le taux de participation tomberait à 10,6%. Moins reluisant vous en conviendrez.

La confusion va même encore plus loin dans un reportage de cnew. Il y est utilisé l'appellation "vote" comme dans cet extrait : "Les familles avaient jusqu’au mercredi 15 novembre pour voter sur l’outil numérique Portail famille". D'un sondage qui n'est pas "un sondage scientifique" on passe sans s'en rendre compte à un vote qui valide la proposition "Pour le plus grand plaisir des parents" suite aux "résultats des enquêtes d'opinion". Rien que ça.

Réponses filtrées, réponses choisies ?

Image représentant une sélection de bulletin de vote sur un sondage d'opinion. Un homme en costume tient une loupe géante au dessus d'une pile de bulletins.

Il y a également quelque chose de très douteux dans les résultats du sondage. En effet, le simple fait que les 500 faux bulletins de vote ne se retrouvent pas dans les presque 650 réponses est en soi une preuve que les réponses ont été filtrées.

Un mail envoyé à une maman d'élève le 15 novembre (le jour de cloture des sondages, après l'envois de 500 faux bulletins pour rappel les 13 et 14 novembre) nous apprend que

[...] ces votes multiples (curieusement toujours orientés vers le NON) représentent moins de 7% des votes ce qui est plutôt rassurant

Or, les faux bulletins ont été faits intelligemment, en utilisant des résultats et combinaisons aléatoires, forçant une tendance de 80 % contre le port de la blouse, 85 % contre la levée du drapeau et 35 % contre l'aide aux devoirs (donc 65 % pour).

7 % de faux votes détectés, tous négatifs, signifient donc que les bulletins envoyés n'ont pas été repérés au premier abord. Or, ils n'apparaissent pas dans le décompte total. Un aveu que la cible à été dessinée après avoir tiré ?

Le sans culotte 85 nous apprend dans son édition de Novembre que "tous les doublons ont été écartés par le service informatique" en se basant sur l'IP. Or, celle-ci n'est pas un indicateur fiable car elle peut être partagée par plusieurs personnes (sur le même wifi par exemple). C'est même encore pire quand on utilise le réseau mobile, car elle est attribuée à chaque fois que l'on entre dans le périmètre d’une antenne.

Les votes faits par les personnes à qui on aurait partagé le lien n'ont donc pas été dédoublonnés. Et on ne peut pas savoir si d'autres façons de filtrer ont été employées.

Contrairement à un scrutin papier, personne n’était présent lors du dépouillement des résultats. La mairie refusant de communiquer les données brutes en se réfugiant derrière les RGPD à cause de la présence d’IP (excuse malhonnête car il est tout à fait possible de les anonymiser), il est impossible d’exclure le fait que les résultats ont été tout simplement fabriqués de toute pièce.

Qu'en conclure

Nous sommes en présence d’un sondage qui ne reflète pas la réalité, c'est indéniable. Totalement biaisé, il est présenté comme validant une proposition qu’on peut qualifier d’idéologique (nous y reviendrons dans l’article suivant).

Il est maintenant clair que ce sondage ne peut en aucun cas être considéré comme permettant de "prendre la température de la population sur le sujet". Au contraire il pourrait être employé pour nous influencer.

On en arrive au sujet grave : suite à l’appel du pied du ministre de l’éducation en Juillet 2023 (dans à une interview sur Midi Libre), ces chiffres ont été présentés comme fiables (et démontrant une adhésion aux mesures) pour servir de base à pousser le gouvernement à soutenir l’initiative.

Dès lors, l'Etat a-t'il été manipulé ? Comment peut-on justifier d'engager des dépenses publiques (22 000 € officiels, mais 58 050 € d'après nos calculs) afin de les mettre en place ?

Revenons maintenant au but essentiel de ce projet "Réussir l'école de demain" : car avant même de décider si on peut être pour ou contre, pourquoi ces propositions ?